Je me souviens avoir dû produire le commentaire d'une d'analyse d'Être & Temps écrite par un commentateur d'Heidegger.
Evidemment, faire ce commentaire de texte par l'entremise des commentaires de mon professeur.
Heidegger présentant lui-même son livre comme un commentaire de la métaphysique d'Aristote.
Pensée construite en partie en réaction à la philosophie de son enseignant, Platon.
Platon dont on ne présente plus les liens avec Socrate.
Discours de Socrate qui naît, pour une partie, en commentaire à celui de Zénon d'Élée.
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Si on étale les strates depuis leur points d'origines La Maison des Feuilles, de Mark Danielewski, se construit tel quel :
Un couple nouvellement installé dans leur maison fait l'expérience d'un réel-x. Un film – document – est tourné autour de leur histoire. Une étude académique est écrite autour de ce film. Un vieil homme commente cette étude et éparpille le tout. Un jeune homme trouve cet ensemble quasi-détruit et le reconstruit.
La base du roman est donc l'expérience faite par un couple et cette expérience n'est disponible plus que par un film –> plus que par une étude –> plus que par les commentaires sur une étude –> plus que par l'histoire d'un jeune homme trouvant les commentaires sur cette étude sur un film sur un couple. La base de "l'histoire" qui est cette expérience du couple (en fait la découverte dans leur maison d'une pièce sans fond) n'est jamais l'objet d'une expérience directe. Ni pour le film lui-même puisqu'il est un montage des milliers d'images enregistrées (ce sur quoi le livre insiste), ni pour l'auteur de l'étude, ni pour le commentateur, ni pour le jeune homme, ni pour le lecteur qui en plus de passer après toutes ces paliers, passe aussi par celui du roman. Ni en fait pour le couple lui-même, puisque sans fond, la pièce découverte est aussi sans lumière – c'est donc déjà, d'un point de vue sensoriel, une expérience incomplète.
Présenter linéairement ces strates trahit le livre ; dans La Maison des feuilles toutes ces strates sont ensemble-simultanément-présentes via divers dispositifs typographiques qui signalent les différents ordres au sein d'une même page – moins palimpseste que mille-feuilles.
Certains n'ont pas manqué de reprocher à Danielewski ce travail trop forcé sur la mise en page, d'avoir produit un livre de faiseur. Qu'importe. Ce qu'ils reprochent insidieusement c'est de ne pas avoir présenté l'histoire sous une forme causale, qui alternerait avant et après, en-deçà et au-delà. C'est se méprendre sur le sujet même du livre.
Le réel est toujours un commentaire du réel et ne peut pas se présenter, naturellement, autrement que comme déjà-là. Au sens où la phénoménologie emploie ce terme de "déjà", c'est à dire moins comme quelque chose d'antérieur qu'au contraire toujours simultané.
Dans le livre, les protagonistes de l'origine – ceux qui nous sont donnés comme étant au plus près de l'origine : le couple – découvrent que la pièce est toujours sans fond et a toujours été là. Que l'attribut mâle du couple décide de voir dans cette pièce les projections des propres psychoses qui parcourent son foyer n'y change rien. Peut-être est-ce bien l'incarnation de ces psychoses, mais c'était tout de même là avant lui. Il a beau être à l'origine du commentaire, il n'est pas à l'origine du fait.
Dans l'appendice, on découvre que la pièce sans fond entretient un rapport avec le jeune homme. Donc ce que filme le couple, ce qu'écrit l'universitaire et ce que trouve le vieil homme est peut-être en fait le commentaire de ce que vivra le jeune homme à l'autre bout de la chaine.
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Donc mon commentaire de texte est moins le commentaire d'une parole lointaine de Zénon d'Élée que la parole de Zénon n'est le commentaire en avance de mon texte.