26 mars 2014

Oups!-itude hollywoodienne

The Hunger Games : Catching Fire, et son compositeur aveugle.


Hunger Games est censé décrire les dérives aliénantes d’un état über holistique qui sacrifie sa jeunesse et en spectacularise le massacre pour entretenir son régime de classe. Sans que l’on comprenne trop comment un programme de téléréalité peut avoir un tel pouvoir coercitif. Mais passons. Vite dit : dans Hunger Games les gens ne sont pas contents et les méchants parfaitement nomenclaturés. Et je ne connais pas le fin mot de l’histoire, mais il semble qu’il soit question de révolution. Qu’on y pense : ce n’est pas tellement parce que la majorité est tenue en esclavage que la majorité veut se révolter, mais plutôt – tel que le présente le deuxième opus cinématographique – c’est parce qu’on essaie de leur refourguer un remake réchauffé de leur programme favori ! Si c’est ça, ce n’est pas une goutte d’eau. Mais passons.
Une partie de l’outillage distanciatif des films consiste à rendre ostensiblement ridicule la classe dirigeante en la – littéralement – grimant. Du moins j’espère que c’est bien l’effet recherché. Le maquillage des riches, leur accoutrement, sont signe d'un perfectionnement qui s'est gouré d'objet, crient au monde que cette classe-là a passé trop de temps à se regarder jusqu’à en perdre tout sens de la tenue et de la finesse. Et finesse politique en premier lieu (des forces armées très létales et un tv-show comme seul programme politique de conservation du pouvoir, même Néron faisait plus subtile). Puis, il y a ce grand moment dans le deuxième Hunger Games. Les futurs sacrifiés paradent devant leur président dans tous les apparats fascistes que l’histoire a su répertorier et utiliser jusqu’à présent. Immeubles proto-constructivistes servant de porte-drapeaux démesurés, imagerie impérialiste à tendance romaine, foules immenses tirées au cordeau, musique avec un penchant pour les percussions et l'allégresse martiale. Et le drame justement : le temps de quelques plans la musique du film glisse indifféremment dans le film. Les tambours de l'accompagnement musical se synchronisent et se confondent avec le mouvement des musiciens-figurants qui aux abords de la piste participent à cette célébration de la pyramide nationale.
En d’autres termes : le représenté s’accapare brutalement le sens de sa représentation. C’est-à-dire qu'il gagne son approbation.
Déjà, le choix de ce qui sonne comme un hymne symphonique pour illustrer une telle scène était perturbant. Comme si le réalisateur avait omis de préciser à son compositeur que la charge était censée être dénonciatrice, non pas admirative. Mais passons ; la mise en scène qui aligne panoramiques et contreplongées grandioses est elle aussi assez perturbante de textualité. Mais dans cette synchronisation en différé entre l’image et sa musique tout d’abord extradiégétique, dans cette co-substantialisation du point de vue et du vu, c’est le film qui trahit le film lui-même.
Jennifer Lawrence et ses buddies peuvent bien jouer les révolutionnaires prolétaires, comment, à moins de sortir du film, pourront-ils vraiment vaincre l’observateur, dont dépend la transcription de leurs actes, quand cet observateur vient de laisser échapper sa préférence pour le parti adversaire ? Transposé dans un autre contexte, il faut imaginer le narrateur jusqu’alors grave des procès de Nuremberg laisser échapper au moment de la sentence de Göring une très mal venue inflexion de ses cordes vocables.

Ce genre de débâcle on l’imagine facilement dans les mains d’un Herzog, comme un génial sabotage volontaire de l’édifice fictionnel. Mais sur un produit de cette ampleur et venant d’un yes-man tel que Francis Lawrence, la chose parait plus schizophrénique, si ce n’est nauséabond.
Il y aurait tellement à dire sur le cynisme somatisme sous-jacent qui permet ce genre de dérapage au sein d’une industrie pourtant si férue de calibration, et qui lui permet conjointement de passer comme une lettre à la poste, l'air de rien.
Mais quelque part, c’est le geste cinématographie le plus fort que j’ai vu depuis longtemps. Il fonctionne comme un méta-discours malgré lui. Genre révélation fortuite d’une ligne de code dans un univers qu’on pensait analogique. Pour reprendre quelques lignes plus haut, c’est une façon de dire – ou de laisser échapper : Hey gamin ! tu peux bien rêver de ton utopie révolutionnaire, seulement il va falloir que tu apprennes à vivre avec le fait que celui qui t’en nourri et aussi celui qui en tient les rênes.
Carotte idéologique qu'il n'a pas une seconde l'intention de te laisser croquer.