Peter Sloterdijk fait de l'objet globe terrestre le symbole fondateur et culminant de la globalisation. Tout globe terrestre pourrait – et devrait – être vu comme une sculpture. On pourrait titrer cette sculpture comme telle : La pensée de l'espace prenant conscience de son opérativité.
À travers l'idée du globe, c'est le monde total qui devient un territoire, le lieu des déplacements et des opérations humaines.
Ce qui sert de fétiche historique pour une Histoire de l'appropriation du monde chez Sloterdijk est aussi, en un sens très proche, un symbole de l'Histoire des images : alors, moins qu'une synthèse, qu'une carte totale du champs de bataille, le globe terrestre est avant tout un manifeste de la volonté des images ; les images à l'heure de la naissance de la globalisation éprouvent leur volonté d'être elles aussi totales, absolument exhaustives. Le globe terrestre est une double représentation, la représentation du monde et la représentation de la chose à atteindre : l'image comme nouveau réel.
D'une certaine façon, "le monde" que Kant définissait comme une idée de la raison a fini par prendre corps : c'est la première image orbitale de notre planète.
Cette possibilité nouvelle (qui est sans doute une vieille prétention, mais une prétention qui n'accède que très récemment à la légitimité) pour les images d'opérer comme nouveau réel est ce qu'on peut déduire de l'exemple pris par Sloterdijk dans le roman de Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours.
Dans une civilisation saturée par la technique, il n’y a plus d’aventure, il ne reste que le risque d’être en retard, dit Sloterdijk en résumant le message du livre.
C'est qu'il ne s'agit plus, pour le personnage crée par Jules Verne, d'affronter une expérience du monde et de s'en constituer une représentation. Il ne s'agit désormais que de performance – celle de boucler la traversée du monde en un temps record – car l'expérience du monde au fond, sous-entend Jules Vernes, est déjà constituée, accessible et complète : elle se trouve en bibliothèque.
C'est en partie faux bien entendu ; les romans de Jules Vernes sont eux-mêmes bourrés de ce désir de représentations nouvelles, d'exemples de territoires vierges ; mais ce qui est éprouvé est le constat que déjà à la fin de XIXème siècle les représentations du monde sont devenues monstrueuses, c'est à dire déjà en excès vis à vis de l'individu, c'est à dire qu'elles forment déjà un corps suffisamment plein pour faire échec à toute tentative individuelle qui voudrait les consulter de a-à-z.
L'image tire son attirance contemporaine dans le fait qu'elle fonctionne comme un réel plus épais que le réel lui-même.
Il y a plus d'aventures à parcourir les représentations de la forêt amazonienne qu'à parcourir la forêt amazonienne elle-même.