17 oct. 2012

Sur internet et les régimes de l'image (sic)

Le terme de photo internet n'est ni un abus de langage, ni un vocable paresseux qui confondrait source et nature ou oublierait de dire l'un en se contentant de l'autre.
La source et la nature : c'est les deux à la fois qui sont visées – et non pas confondues – car ici la source redéfinit la nature de ses objets. Une image est du net parce qu'elle est placée dans un espace où l'inter-pénétrabilité des données et leur transfiguration quotidienne font office de lois géométriques. Je me souviens d'Arrasse disant qu'une peinture, lorsqu'elle a été peinte pour un certain lieu, doit être étudiée en fonction. Mars et Venus surpris par Vulcain a été peinte pour une chambre de première noce – il faut au moins y penser lorsqu'on la voit dans un musée.
Mettre une image sur internet c'est consentir à être sous la régulation d'une certaine économie, c'est accepter, dans le cas de l'image, d'en ouvrir l'utilisation. Parce que c'est ce que propose le web : le placement dans un entre-deux virtuel où les choses qui vous appartiennent sont momentanément libérées.
Si je ne souhaite pas participer au flux mondial des capitaux, je ne mets pas mon argent à la banque. Ça ne signifie pas que mon argent ne m'appartient plus, ça ne signifie pas que je le donne et pourtant, entre le moment où je revendique son appartenance "C'est mon argent, la voici" et celui où j'en reprends le contrôle "Je la retire", cet argent est de facto libre d'utilisation (sous l'unique condition que je puisse jouir de lui à tout moment). En dernier lieu c'est le mien ; mais en attendant...

––––––––––

C'est d'ailleurs la raison qui me fait croire que toute critique du web basée sur son contenu rate fondamentalement sa cible. Internet n'est en rien un bocal qui devrait être analysé selon la qualité et les caractéristiques de ce qui y grouille – ou de leur somme. Internet doit être considéré comme un milieu. Et dans ce genre de cas c'est les spécifications qui prévalent à travers l'économie que le milieu met en jeu. On aurait pas idée de se demander "Est-ce que les poissons sont plus efficaces que les reptiles ?"
Certes, les poissons grimpent assez mal aux rochers – mais ça ne fait aucun sens. Et peut-être qu'on trouve les poissons et les cétacés pas "très bandants" – mais c'est totalement hors-sujet.

––––––––––

Le Tumblr est un type de blog principalement dédié aux images ; gratuit et proposant une interface simple, n'importe qui peut en ouvrir un pour présenter et constituer sa sélection d'images. Comme les blogs, les tumblr peuvent être très généralistes, ne reposant alors que sur la seule personnalité de leur auteur, ou thématiques.
Il n'existe pas de règles ni de dispositifs d'usage à priori, mais la majeure partie des tumblr sont constitués comme tel : aucune ou peu d'images originales (si elles le sont, ce n'est qu'en tant qu'elles peuvent s'inscrire dans "la ligne éditoriale"), aucun commentaire attaché aux images, aucune uniformité de registre (peintures, prints, photographies journalistiques ou artistiques ou amateurs sont mélangées sans hiérarchie). Pour ces raisons, le tumblr ne peut être confondu avec le blog d'images. Il n'est pas un lieu de discours ou de commentaire sur l'image et ne semble pas, de façon générale, entretenir un rôle de médiateur. Il correspond plutôt à une tentative de musée personnel.
L'objet tumblr est entièrement dépendant de la numérisation. Ce qui rend possible ces collections particulières est le fait très prosaïque que ces images soient disponibles quelque part sur le web en série de 0 et de 1. Aussi, il est autant un agent qu'un symptôme de la mise en réseaux. Dans la plupart des cas, retrouver l'origine d'une image (auteur, identité, contexte) est impossible, chaque image étant souvent prise – linkée – depuis un autre tumblr qui lui-même renverra à un autre, etc.
Ce qui est esquissé dans cet usage décomplexé des images est la construction quasi autonome d'un méta-royaume de l'Image, où chaque tumblr est moins une banque d'images qu'une interface de vision. Chaque tumblr est une infinie tentative de mise en ordre d'un ensemble, une classification piochant au sein d'un corpus rendu par la force des choses global et indifférencié.
L'image n'a plus pour provenance x ou y, sa seule qualité, semble-t-il, est d'être devenue une citoyenne du milieu.