8 nov. 2012

Die Weltgeschichte ist das Weltgericht

L'histoire du monde est le tribunal du monde – je tiens la phrase de Fukuyama qui la tient de Kojève. Cet emploi de l'indicatif et non du futur ou du conditionnel m'a toujours semblé être un trait de génie, plus spinoziste qu'hégélien. Echo de la puissance des vivants : on ne doit pas attendre des êtres autre chose qu'une "volonté" à persévérer dans leur être, si bien que le réel n'est jamais autre que ce qu'il devait être. L'emploi du présent, que l'histoire du monde soit (présentement) le tribunal du monde, est une affirmation plus forte que la simple référence au mouvement dialectique de l'Histoire. En vérité, on n'est pas loin du refus de la dialectique.
Il existe une forme de rédemption évidente dans la pensée de la dialectique ; l'idée qu'en dernière instance les erreurs structurelles seront "naturellement" corrigées par la marche de l'Esprit, si ce n'est pas celle du Phénomène lui-même, qu'une époque, qu'un système, n'est jamais que l'être momentanément nécessaire à un être à venir, nécessairement meilleur que celui qu'il supplante. Ce n'est pas rien d'ailleurs si cet être-meilleur, dialectiquement corrigé, l'est en fonction d'une Histoire qui se processe moins par l'action des hommes eux-mêmes que par celle de l'Esprit – entité parfaitement métaphysique en cela qu'elle est plus une somme irréductible qu'un ensemble corpusculaire – c'est-à-dire, on le sait, qu'un rédempteur est toujours plus digne de confiance qu'il est moins humain. C'est pour ces raisons-là que la dialectique s'accorde assez mal de l'affirmation au présent ; le présent, cette chose qui ne tient qu'en elle-même, est antidialectique par nature. L'autorégulation des marchés, conception parfaitement dialectique, tient le plus souvent de la prédiction ; on entend souvent dire des marchés qu'ils "s'autoréguleront" mais on entend rarement un économiste s'écrier : "Regardez, les marchés s'autorégulent !". Toujours affaire d'oracle et affaire d'un être débordant vers ici ou vers là. Après tout, Histoire et Dialectique sont des termes co-dépendants qui ne s'emploient pas l'un sans l'autre chez Hegel. Du coup, dire que l'histoire du monde est le tribunal du monde peut facilement être pris comme le refus à considérer tous les processus d'intentions pour n'affirmer que la pleine souveraineté du réel.
Expression cruelle que même la jurisprudence humaine ne conçoit pas : un délit n'est pas seulement sommé de se présenter au jugement de la communauté pour la réparer, il doit aussi s'expliquer, et ainsi, par exemple, un crime n'est jamais un crime puisque la justice y conçoit des degrés. Dialogue génial entre deux meurtriers, qui ayant commis le même acte, n'ont pourtant pas commis le même acte. Au contraire, la mise en examen du présent ne conçoit aucun degré.
Il y a là l'ombre d'un règle éthique : "Et si on était jugé immédiatement ?". Pas sûr qu'on acterait nos vies avec la même procrastination morale.